
Sans eux, le Festival de Cannes serait à Venise
Mes tribulations de photographe m'ont permis de courir les 5 continents.
Rien de tel pour apprécier la France à sa juste valeur.
Nul doute, parmi toutes les compétitions que j'ai suivies, le Festival de Cannes est un de mes plus grands souvenirs.
Le luxe, les actrices, le cinéma, le vieux Cannes, le ciel, le soleil et la mer. J'oubliais le " Hot ".
Tout cela pour dire que le Festival de Cannes est un évènement international connu sur les cinq continents.
Mais qui connait son histoire ?
Une histoire tellement hors du commun, tellement politique, que les grands médias mettent un grand soin à n'en rien dire.
Ce n'est donc pas un hasard si aujourd'hui on fête le 70eme anniversaire du Festival de Cannes.

Le Front Populaire et les "accords Matignon"
Pourquoi parler des accords Matignon?
Parce que sans eux, il n'y aurait pas de Festival de Cannes.
Nous fêtons aussi le 80ème anniversaire du Front Populaire. Vous savez ce truc incroyable qui devait ruiner le pays. Oui, les premiers congés payés.
Les grands médias ne se sont pas étendus sur le sujet. Pensez donc, un Gouvernement socialiste en proie à des grèves qui justement ont pour objet la sauvegarde des conquêtes de 1936 concernant les conventions collectives et donc le Code du Travail. En 1936 aussi c'était un Gouvernement socialiste qui était au pouvoir et qui était confronté aussi à la grève générale à l'appel de la CGT. Un mois de grève totale. La France complètement paralysée qui a contraint Léon Blum à reculer. "Une gifle pour mon Gouvernement" déclara t'il.
Ce n'est pas le socialiste Léon Blum qui a octroyé les congés payés, les 40 heures, le Code du Travail et les augmentations de salaires. Ce sont les grévistes qui ont obligé le gouvernement socialiste à " baisser pavillon" et le patronat à signer avec la seule CGT les accords Matignon le 7 Juin 1936.
C'est précisément cela que la loi Travail (ou El Khomri) vise à détruire. Ce que les socialistes ont été obligés de céder voilà 80 ans, ils veulent le reprendre aujourd'hui. Ils veulent leur revanche.
Certains s'étonnent de voir FO avec la CGT dans la bataille. Il suffit de connaitre la vraie histoire pour comprendre. Pas celle qu'on apprend à l'école ou à la TV. La vraie histoire.
La CGT de 1936 était unifiée. Elle comprenait la CGT d'aujourd'hui et FO d'aujourd'hui. La tendance CGT (d'aujourd'hui) était représentée par Benoit Frachon et la tendance FO (d'aujourd'hui) par Léon Jouhaux. Cette histoire commune et ces luttes communes expliquent pourquoi CGT et FO sont ensemble dans les grèves d'aujourd'hui.
C'est aussi parce qu'ils étaient ensemble à la manifestation du 16 mars 1937 à Clichy pour s'opposer aux fascistes. 6000 manifestants, sur lesquels le Gouvernement de Léon Blum a fait tirer au fusil par les gendarmes. Assassinat qui a fait 5 morts et 270 blessés. Souvenons-nous de cela car l'histoire pourrait bien se répéter.
Bien entendu les syndicats réformistes (CFDT et consorts) qui font tout pour sauver le soldat Hollande, n'ont rien à défendre car ils n'ont jamais rien conquis.
En 1937 la CGT organise une collecte dans tout le pays pour financer le film "La Marseillaise" réalisé par Jean Renoir.
Le Parti Communiste fait de même pour financer le film "La vie est à nous", réalisé aussi par Jean Renoir.
En fait les donateurs payaient leur entrée au cinéma avant que le film soit réalisé. En ce temps là, les dirigeants politiques inspiraient confiance.
De fait Jean Renoir est devenu le cinéaste du Front Populaire.

Les Prémices du festival de Cannes.
Les fascistes européens avaient leur festival du cinéma à Venise , La Mostra de Venise, le 1er Septembre 1939.
Jean Renoir représenta la France avec son chef d'oeuvre sur l'absurdité de la guerre, " La grande illusion".
Si vous n'avez pas vu ce film, il n'est pas trop tard. Un beau çadeau de Noel.
Mussolini (chef du Gouvernement fasciste italien) intervint en personne pour exclure ce film de toute récompense.
Ce fut Léni Riefenstahl réalisatrice nazie (amie d'Hitler) qui obtint la palme d'or.
Oui la culture c'est très politique.
La seconde guerre mondiale interrompit le festival.

Le Palais de la Croisette, leur "cathédrale".
Dès 1945, de Gaulle et les communistes décidèrent de créer un festival du cinéma en France.
Le Prince de Monaco se porta candidat. Les députés communistes de Cannes et de Nice, Henri Pourtalet et Virgile Barel firent un tel lobbying qu'ils remportèrent le cocotier. Il faut dire que de Gaulle n'appréciait pas beaucoup le rocher.
L'ambassadeur des USA fit tout son possible pour contrer le projet qui concurrençait le festival d'Hollywood, et surtout, qui était piloté par des communistes.
Il faut dire aussi que de Gaulle n'a jamais beaucoup aimé les américains. Ils le lui rendaient bien.
Le premier festival de Cannes eu lieu de bric et de broc en Septembre 1946. Le Premier prix fut attribué à René Clément avec " La bataille du rail " exaltant la résistance ouvrière.
Il fallait un temple du cinéma, mais il n'y avait pas d'argent. Le Gouvernement avait d'autres priorités dans une France dévastée. La philosophie des anciens résistants forgée dans le combat était que la culture était aussi une nourriture indispensable à un homme libre.
Et Marx n'avait-il pas proclamé sur tous les toits que " le travail est émancipateur".
La CGT, très cinéphile mobilisa donc tous ses militants méditerranéens pour construire gratuitement, tous les jours après leur journée de travail ainsi que tous les dimanches, " le Palais de la Croisette".
Ils n'ont pas monté des parpaings, ils ont construit leur " cathédrale ", montrant qu'on peut soulever des montagnes quand le projet est partagé.
Le docteur Picaud, " Le docteur des pauvres", Maire de Cannes, Présidant de France-URSS, mobilisa toute la population de la ville de Cannes pour soutenir le projet et ceux qui le construisirent. Son adjoint, l'avocat Lieuter abandonna momentanément son étude pour la truelle et la brouette.
En ce temps là, les élus donnaient l'exemple.
Tous ceux qui participèrent à l'exploit eurent droit au tapis rouge et à l'acclamation des artistes sur la grande scène.

Pour garder tout cela en mémoire:
La participation de la CGT à la création du festival de Cannes ne s'est pas limitée à l'aspect matériel de l'évènement.
La Fédération CGT du spectacle (Paris) intervint dans le contenu et l'organisation du Festival. La culture n'est jamais neutre.
En 1980, malgré la lutte des anciens bâtisseurs, le Palais de la Croisette fut complètement rasé. Une manière d'effacer l'histoire pour les nouveaux élus. Ils n'ont pas complètement réussi car aujourd'hui encore Denis Gravouil dirigeant du Syndicat CGT du spectacle est membre du Conseil d'administration du Festival.
Aujourd'hui encore le Comité d'Entreprise des Cheminots (SNCF) et des Électriciens et Gaziers (EDF) continuent depuis la Libération à participer au Festival de Cannes permettant aux plus modestes de côtoyer les artistes.
Mais derrière les paillettes il y a ceux sans qui rien ne se passerait. Les employés des palaces, des restaurants fortement syndiqués à la CGT qui à leur façon continuent l'oeuvre des pionniers de 1946. Leur situation a été, ces dernières années, considérablement dégradée. Du statut de saisonniers qui pouvait se justifier, ils sont réduits aujourd'hui au statut d'extra. Embauchés le matin, débauchés à midi ou au mieux le soir. Ils sont revenus au Moyen Age.
En conclusion, la Festival de Cannes est aujourd'hui l'exacte image du Pays. Des très riches qui profitent grâce aux très pauvres.
Malgré cela, il a le culot de se représenter.
:-(
